GAZETTE N° 35

ET SI ON SE FAISAIT CONFIANCE ?

L’INVITEE : Agnès Dutheil interviewée par Charlotte Debionne

COUPLE : la cerise sur le gâteau, de Véronique Haring

FAMILLE : l’enfant, co-acteur de son développement, de Monika Ducret

MEDIATION FAMILIALE : confiance en MOI, en TOI, en NOUS, de Pierre-Alain Corajod et Catherine Argenta

SPIRITUALITE : bienveillance et bénédiction, de Philippe Matthey

A LIRE : la fabrique de crétin, de Pierre Desmurget

L’abécédaire de psychologie positive  » Et n’oubliez pas d’être heureux »

Partage d’une lecture « heureuse » pour apprendre à voir le bonheur chaque jour malgré tout !

 

En ces temps de confinement qui peut libérer du temps pour se relier à soi et travailler son équilibre intérieur, je vous propose de vous partager la lecture d’un Abécédaire de psychologie positive « Et n’oublie pas d’être heureux » écrit par le psychiatre et psychothérapeute Christophe André en 2016 et paru aux Editions Odile Jacob. Très accessible, ce livre donne une méthode originale et convaincante pour apprendre à vivre heureux avec conseils et exercices pratiques ainsi que les témoignages personnels de l’auteur.

Extraits choisis… dans cette période si particulière que nous vivons, seuls ou avec nos proches.

Charlotte Debionne, Conseillère conjugale

 

« Acceptation (p24): ce n’est pas se réjouir de ce qui nous fait souffrir, c’est juste constater que c’est là. Puis, tout de suite après, « que puis-je faire ? » : changer la situation ou changer ma réaction, bouger ou attendre. L’acceptation nous allège de vaines luttes.

 

Acheter (p25) : acheter quelque chose nous procure du plaisir et l’usage de la chose peut nous procurer du bonheur éventuellement, ou de la déception, ou peu à peu de l’indifférence. En un clic de souris, l’acte d’achat est sans doute l’acte rendu le plus simple par les sociétés de consommation. Le bonheur réside dans la non-simplicité : réfléchir avant d’acheter « en ai-je vraiment besoin ?  Ou suis-je en train de chercher une consolation facile à je ne sais quel manque obscur en moi ? »

 

Admirer (p27) : apprendre à admirer quelque chose ou une personne (le conjoint, un proche, un ami, un collègue) sans se dévaloriser est un très bon exercice, et pour le bonheur, et pour l’estime de soi. Admirer avec le cœur juste en s’arrêtant et affûter son regard admiratif en abaissant le seuil de ce qui suscite mon admiration revient à multiplier les occasions de me sentir heureux.

 

Adversité (p28) : elle fait partie de la vie. Elle nous aide à reconsidérer la manière dont nous conduisons nos existences en nous éloignant du bonheur, ce qui nous permet de mieux le voir. De petites doses rendent les humains plus solides et plus heureux. L’adversité ne nous sert que si l’on agit tout de suite pour changer de vie.

 

Agacements (p29) : s’entrainer à les accueillir en commençant par respirer, sourire, se dire « ok, ok, c’est bon, j’ai compris, ça ne va pas se passer comme je voudrais… » Puis je fais ce que je peux faire.

 

Amis (p35) : avoir des amis, les voir, pour rire, agir, se consoler, se distraire représente l’un des ingrédients du bonheur. Parfois je ne les vois pas aussi souvent que je le voudrais mais savoir qu’ils existent me réchauffe le cœur. Et me procure du bonheur.

 

Anxieux et heureux (p41) : l’anxiété est la conscience douloureuse du réel, le bonheur en est la conscience joyeuse. Le seul bonheur lucide, qui accepte l’adversité et la félicité est un bonheur réel.

 

Aujourd’hui (p48) : le présent est l’une des clés du bonheur. Lorsque nous sommes malheureux, nous avons intérêt à ne vivre que les malheurs d’aujourd’hui : inutile de penser aux malheurs de demain, à la manière dont ils pourraient durer, s’amplifier ou s’envenimer. Lorsque nous sommes heureux, nous avons intérêt à ne pas oublier de vivre pleinement les bonheurs d’aujourd’hui.

 

Autoréparation (p51) : Vivre c’est agir, avoir des liens avec les autres, regarder le ciel, manger, se distraire : plus nous nous tournons vers la vie et moins nous nous tournons vers nous-mêmes, vers les épreuves douloureuses que nous venons de traverser, plus nous donnons de chances à nos capacités naturelles d’autoréparation de faire tranquillement leur travail. Toutes les joies, mêmes éphémères, même microscopiques vont me soigner de ces blessures de l’existence. La vie est réparatrice, la vie heureuse l’est encore plus.

 

Biais de négativité (p67) : notre cerveau a été façonné pour assurer notre survie et donc traiter en priorité les mauvaises nouvelles et ce qui peut représenter un danger (attaque de prédateur). C’est pourquoi il nous est plus facile de ressentir les émotions négatives que les émotions positives : les premières ont tendance à durer plus longtemps et à nous marquer plus profondément que les secondes. Maintenant que nous ne vivons plus dans la jungle au milieu des prédateurs, il faut travailler à rééquilibrer cela !

 

Choix (p75) : notre société de consommation et d’abondance tend à nous faire croire qu’avoir le plus grand nombre de choix possibles est une bonne chose. Ne confondons pas profusion et liberté, encore moins profusion et bonheur…

 

Compassion (p81) : se montrer sensible à la souffrance d’autrui et souhaiter qu’elle diminue ou s’interrompe. Le bonheur est impliqué dans la compassion et renforcé dans la pratique de la compassion. Elle nous apprend à voir le monde tel qu’il est, et non tel que nous le rêverions.

 

Conjoint (p82) : c’est la personne qui en sait le plus sur nous et nos capacités émotionnelles. Nous réservons nos états d’âmes négatifs souvent à nos proches et nous exportons rarement nos plaintes. Traiter son conjoint comme son supérieur hiérarchique serait parfois une bonne idée. On ne peut pas en même temps vouloir le bonheur de quelqu’un et le traiter comme une poubelle à émotions négatives.

 

Contagion (p83) : le bonheur est contagieux, comme toutes les émotions positives ou négatives. Rencontrer des personnes heureuses, sans doute le moyen le plus reposant de se rendre plus heureux !

 

Corps (p86) : Il faut rendre son corps heureux. Le bien-être de notre esprit est lié à celui de notre corps. Lorsque nous nous sentons heureux, les sensations que nous éprouvons nous font toucher du doigt l’expression « élan vital », le corps est léger, content, prêt à l’action.

 

Couple (p87) : un mode d’emploi du bonheur à deux ? Savoir se réjouir de ce qui arrive de bon à son conjoint. On attend du couple qu’il nous épanouisse et nous rende plus heureux que si nous vivions seul. Et aussi, passer souvent du temps ensemble, hors de chez soi, dans des environnements agréables. Cela permet de donner de la saveur au ronron du quotidien.

 

Défaut des autres (p95) : lorsque je suis de bonne humeur, ils m’inspirent de la bienveillance et de la compassion. Il est rare qu’on supprime totalement un défaut mais il est fréquent qu’on en atténue considérablement l’emprise sur notre vie, en s’efforçant un peu. Alors je me dis que la personne en face de moi, qui m’agace, est peut-être engagée dans un de ces chantiers. Et je me rappelle que je ferais bien, au lieu seulement de rouspéter après elle, de me remettre moi aussi au boulot.

 

Deuil et consolations (p107) : rien ne nous console, toute mort nous laisse inconsolable. Le bonheur ne nous est pas interdit mais il n’aura plus jamais le même goût. Il sera transformé comme nous l’avons été. Nous pouvons continuer de vivre avec nos morts, vivre avec eux et aussi un peu pour eux.

 

Donner (p111) : ce que tu ne donnes pas, tu le perds. Donner pour faire plaisir, renforcer les liens, pour exprimer son affection. Mais aussi pour s’entrainer à ne pas s’attacher, pour aller vers l’essentiel, vers l’allègement des contingences matérielles qui rassurent.

 

Emerveillement (p121) : face à quelque chose d’exceptionnel et aussi face à de l’ordinaire : une fleur, une aurore, un orage, l’océan, la nature, le fonctionnement du corps humain. L’émerveillement relève alors davantage d’une prise de conscience que de la découverte inédite d’une chose exceptionnelle. Ce type d’émerveillement est l’une des clés du bonheur, facilité par la disponibilité mentale. Les hypersensibles sont aussi des hyperréactifs, et à tout : bonheurs et douleurs. Des émerveillés endoloris.

 

Essayer (p132) : nombre de nos ennuis avec les « recettes » de bonheur viennent de ce qu’on ne les essaye même pas. Et le reste, de ce qu’on ne persévère pas.

 

Faible ou fragile ? (p140) : Quand je me sens faible, cela me décourage et me détourne de l’action à l’avance. Quand je me sens fragile, cela ne me dissuade pas d’agir, mais me pousse plutôt à la prudence et la conscience que je vais devoir agir précautionneusement et sans doute avoir besoin des autres. La fragilité est une faiblesse active sur laquelle on ne porte pas de jugement de valeur, et à qui on ne reproche rien.

 

Famille (p142) : les familles heureuses ne se ressemblent pas plus entre elles que les familles malheureuses. C’est pareil pour le bonheur et les émotions agréables !

 

Forces et faiblesses (p150) : c’est l’un des grands principes de la psychologie positive : « travaille tes forces, pas seulement tes faiblesses »  Se demander ce que je fais déjà de bon et de bien et m’engager à le faire davantage pour un double bénéfice : plus de bonheur et plus d’énergie pour tenir les résolutions prises sur mes faiblesses.

 

Gratitude (p162) : c’est se réjouir de ce qu’on doit aux autres. S’y entrainer est très simple : 1) notez chaque soir, pendant une semaine entière, 3 évènements agréables de la journée ; 2) y cherchez ce qui est dû à d’autres humains ; 3) prenez conscience et réjouissez-vous d’être relié ainsi, pour le meilleur, à tant d’humains, connus ou non. Renouvelez l’expérience plusieurs fois par an dans les moments où la vie est facile et lorsqu’elle l’est moins.

 

Guérir (p165) : Chaque maladie est un rappel de notre fragilité et de notre mort qui viendra un jour. Chaque guérison devrait nous pousser à rendre grâce, à qui que ce soit, Dieu ou la vie.

 

Instant présent (p176) : il s’agit de moins mentaliser et davantage savourer. De vivre et ressentir de manière moins cérébrale et plus animale mais à la différence des animaux, mesurer la portée et le sens du bien-être ressenti pour le savourer à nouveau.

 

Pardon (p246) : Décider qu’on ne veut pas rester prisonnier du ressentiment, qu’on ne souhaite pas faire durer la peine, qu’on désire ne plus souffrir soi-même. S’accrocher à l’offense, c’est s’accrocher à la souffrance. Ne pas voir le pardon comme un renoncement (à la punition, à la vengeance) mais comme une libération et un allègement (du ressentiment). Il n’a de vertu, personnelle et sociale, que s’il est accordé avec discernement : ce sont les limites de la psychologie positive.

 

Patience (p252) : Comprendre que ce qui nous paraît parfois du temps perdu, lorsque la vie nous contraint à attendre et à patienter, n’est que du temps vécu. Rien n’est vain, puisque c’est du temps de vie qui nous est offert : nous aurions pu ne plus être là, comme tant d’autres qui n’ont pas eu notre chance. Et un jour, nous n’y serons plus.

 

« Qui nous fera voir le bonheur ? » (p280) : ce cri du cœur figure dans le psaume 4 de la Bible. Qui répond que ce sera Dieu, bien sûr. Ce à quoi j’ajoute volontiers : ou nous-mêmes. Ce qui n’est pas un blasphème, puisque Dieu nous a créés à son image.

 

Sérénité (p311) : La sérénité est au-delà du calme ; elle est au calme ce que le bonheur est au bien-être : une transcendance.

 

Sourire (p323) : il y a 3 bonnes raisons de sourire le plus souvent possible. Sourire nous met de meilleure humeur (boucle de rétroaction, l’inverse est vrai) ; sourire attire des bonnes choses dans notre vie, notamment de la part des autres personnes ; enfin c’est un acte de douceur et de gentillesse envers autrui que de sourire a priori.

 

Vie (p355) : la vie est belle. La vie est dure. Ces deux affirmations sont vraies. Inutile de chercher à établir une moyenne. Mieux vaut admettre qu’il y aura des gifles et des caresses.

 

Youpi ! (p371) : la devise de l’enthousiasme. Que personne ne dit jamais plus, sauf dans les mauvais livres ou les mauvais films. Et vous, c’est quoi votre cri – intérieur ou extérieur – d’enthousiasme ? »

 

 

Interview pour le journal LE TEMPS « Couple à distance en temps de confinement »

« Un soir j’ai passé la frontière française en inventant une excuse, j’avais l’impression d’être Rambo ». Marianne*, 23 ans, est séparée de sa conjointe Noémie depuis bientôt trois semaines. Une distance douloureuse pour le jeune couple, sans cesse à la recherche de moyens pour se retrouver. « On sait que c’est interdit et qu’on peut être amendées, mais on prend le risque. Les circonstances actuelles nous poussent à être inventives », complète la jeune femme.

Le nombre de couples obligés de garder leurs distances a largement augmenté avec l’arrivée du coronavirus et les restrictions cantonales : couples franco-suisses, extra-cantonaux mais aussi personnel médical, ou recrues militaires… Ce phénomène touche plus particulièrement les jeunes adultes, qui ne partagent parfois pas d’espace de vie commun.

Pour Véronique Häring, psychologue au sein de l’association Couple et Famille, ce nouvel état des choses doit être vu comme un second souffle pour toutes ces relations. « La séparation génère évidemment un manque de tendresse, de contact charnel mais elle stimule en même temps une recherche de solutions pour rester en contact ».

Salomé, 26 ans, habite à Meyrin et forme un couple avec Rayan, qui lui réside à Renens. Ils ont pris la décision de ne plus se voir afin d’éviter d’utiliser les transports en commun et d’ainsi prendre des risques. « Comme les parents de Rayan sont âgés, on préfère être prudents, même si ça signifie ne plus se voir pendant plusieurs semaines, voire plusieurs mois ».

Renforcer le couple ?

La distance, souvent vécue comme une parenthèse par les couples, permet d’ouvrir les yeux sur l’attachement vécu, affirme Anne-Sylvie Repond, consultante de couple et sexologue à Profa. « Cet éloignement aide aussi à prendre conscience du rôle que l’autre joue dans son équilibre personnel ». Marianne abonde en ce sens. « On réalise à quel point on est proches, mais aussi qu’on est prêtes à faire des efforts pour entretenir la relation. On s’appelle plus, et on cherche à faire des activités ensemble, même si elles sont virtuelles ».

Pour la consultante de couple à Profa, la période actuelle amène des élans de solidarité et renforce la relation de couple par le sentiment de faire face ensemble. « Si le climat anxiogène peut être un révélateur des peurs, des manques, des frustrations personnelles dans la relation, il peut aussi mettre en lumière les ressources du couple et favoriser des dialogues plus profonds, même à distance avec le conjoint ».

 

(Re)désirer l’autre

Sur le plan érotique, la situation peut également se révéler positive. La vie sexuelle du couple peut toujours se vivre à travers le sexting (les messages ou photos sexuellement explicites) ou les messages vocaux.

« Le désir peut se nourrir de l’absence, par des échanges où l’érotisme se dit à travers des mots, des images, des rêveries anticipatoires », explique Monika Ducret, conseillère conjugale au sein de l’association Couple et Famille. C’est le cas de Lisa, en couple avec Alexandre, séparée par la frontière avec la France. « Pour l’instant cette situation ne change pas grand-chose. On se réjouit par contre déjà de se retrouver pour se toucher et se sentir… Le manque physique est ce qui est le plus compliqué à gérer, même si on essaie de le pallier à distance ».

La communication, clé de la réussite

Pour supporter au mieux le contexte actuel, les attentes doivent être verbalisées et entendues soit par écrit, par audio ou même par vidéo. Pour Lisa, un rendez-vous téléphonique a lieu tous les soirs. Salomé, elle, privilégie les partages de vidéos ou de photos via WhatsApp. Dans cette situation en particulier, une des vertus principales pour le couple et pour soi-même reste la bienveillance. Imaginons un couple dont l’un des deux partenaires fait partie des métiers surexposés tels les soignants, le personnel des magasins, les nettoyeurs, etc. Les échanges au sein du couple devraient pouvoir être en priorité un espace d’accueil, d’écoute et de soutien du vécu difficile », affirme la sexologue de Profa.

Même son de cloche pour Véronique Häring, conseillère conjugale à l’association Couple et Famile : « Un couple a besoin de rituels pour se démarquer, pour affirmer son identité, sa spécificité ». Il s’en crée donc en dépit des contraintes du confinement. Le couple est ainsi « forcé » à développer sa créativité en fonction de ses besoins et de ses ressentis ».

Les réseaux sociaux à l’aide des couples séparés

Antoine, 21 ans, est militaire à la caserne de Sion. En couple avec Laura depuis plus de deux ans, il ne peut plus rentrer chez lui depuis près de trois semaines. Un moment compliqué pour le jeune homme. « Même si les réseaux sociaux nous permettent d’entretenir la relation tous les jours, en s’écrivant sur WhatsApp, en s’appelant avec la vidéo ou en s’envoyant des images sur Instagram, moi je n’arrive pas à pallier la distance. Je sais que je suis en train de parler avec ma copine mais je sais aussi et surtout qu’on est séparés par des dizaines de kilomètres ». Les réseaux sociaux aident à maintenir le lien, mais uniquement sur le court ou moyen terme et ce, malgré la multiplication des supports et des nouvelles technologies.

Cette période est donc l’occasion de créer des nouvelles petites attentions: écrire une lettre, envoyer des petits cadeaux, participer ensemble à des visites virtuelles de musées, regarder les mêmes émissions en même temps pour partager des activités communes: «Continuer à nourrir son couple, de façons diverses et inventives, reste essentiel pour chérir le lien et éviter la routine, qui pourrait aussi au fil des semaines d’éloignement poser son ombre sur le couple», souligne Anne-Sylvie Repond. Pour Salomé et Rayan par exemple, les prochaines soirées vont se passer sur une application de visioconférence, en regardant un film ou une série. Antoine, lui, écrit des lettres à sa moitié « pour lui raconter mes journées et lui changer les idées ».

Faire le point

Enfin, être séparé physiquement de son conjoint est aussi l’occasion de se retrouver seul, et de faire le point sur sa vie et sa situation actuelle. « Il faut avant tout rester positif, ne pas se morfondre, mais plutôt prendre du temps pour soi, pour explorer ce que l’on n’aurait pas eu l’occasion ou l’idée d’explorer en tant que couple, explique Charlotte Debionne, conseillère conjugale à Couple et Famille. De manière plus générale, il est important de savoir vivre le moment présent : quand on est deux, on le savoure ; quand on est seul, on le savoure. La meilleure façon de se rendre malheureux est de vouloir autre chose que ce qui est ».

interview avec la journaliste Julie Marti et Véronique Haring, Monika Ducret et Charlotte Debionne.

* Prénom d’emprunt

 

Réflexions sur le livre de Didier Pleux « Le Complexe de Thétis

Présentation du livre de Didier Pleux « Le Complexe de Thétis », Odile Jacob poches, 2019.

En ces temps exceptionnels de confinement sanitaire, il m’a semblé opportun de visiter cette réflexion autour des principes de plaisir et de réalité, du lien que nous entretenons avec chacun et de leur équilibrage parfois bien difficile pour nous.

Ce dernier livre de Didier Pleux est structuré autour de dialogues entre l’auteur et différents interlocuteurs issus de sa pratique, choisi pour illustrer comment la dialectique entre ces deux principes influence notre vie dès son début jusqu’à sa fin. Didier Pleux parle de la difficulté très actuelle de supporter les frustrations qui jalonnent inévitablement notre quotidien, du « déséquilibres entre les plaisirs voulus, les désirs et les nécessaire réajustements ou frustrations imposées par la réalité » (p.23). Pour notre auteur c’est le énième livre sur ce thème. Selon ses propres dires, il martèle le même message sur l’importance de l’intégration du principe de réalité comme gage d’une vie en harmonie avec soi, les autres et la réalité. Il revisite au passage quelques croyances construites par des figures célèbres comme Françoise Dolto, Montessori et Freud, à la lumière des réflexions de Jean-Jacques Rousseau, Jean Piaget et Emile Durkheim, entre autres.

La mythologie grecque raconte comment Thétis, la mère d’Achille, a voulu le rendre invulnérable, en plongeant son corps dans l’eau du Styx, mais en oubliant le talon par lequel elle le tenait. C’est donc par là qu’il devint vulnérable aux aléas de la réalité. Cette fable raconte combien il est important de tenir compte des limites que la vie impose à nos désirs, la nécessité d’apprendre à faire avec par un apprentissage précoce et de développer des outils de gestion de nos colères et de savoir–être face aux frustrations.

Dès son plus jeune âge, un enfant apprend grâce à ses parents que tout ne va pas se passer selon son désir et sa volonté. Cet apprentissage expérientiel lui permet de tirer des conclusions et donc de s’y adapter. Ainsi lorsque maman ne vient plus dans la seconde ou il la réclame, il développe un attachement à un objet, son doudou, qui, lui, sera toujours à ses côtés. La frustration est donc une source de créativité importante. Didier Pleux appelle cela faire « les synthèses de vie ». La vie offre des plaisirs, certes, mais aussi des frustrations. Si on accepte cela comme un fait inéluctable et inévitable de la vie, alors on est d’accord d’apprendre tout ce qu’il est possible de ce principe de réalité.

Selon notre auteur beaucoup de souffrances individuelles sont le résultat de notre incapacité à renoncer à notre toute-puissance infantile. Pour survivre à ce réel qui résiste à notre volonté, nous devons alors déployer toute une créativité morbide pouvant aller jusqu’à l’autodestruction. Cette intolérance à la frustration a son origine à la fois dans un manque éducatif et des réponses fluctuantes et molles de l’environnement social et plus tard à une forme de choix personnel. C’est la fabrication des enfants rois qui plus tard deviennent des adultes rois. Jean-Jacques Rousseau l’avait déjà évoqué comme le site notre auteur dans son livre L’Emile. Lorsque « tôt ou tard l’impuissance vous forcera malgré vous d’en venir au refus ; et ce refus inaccoutumé lui donnera plus de tourment que la privation même de ce qu’il désire … ».

Dans le dialogue avec une mère de deux enfants, l’un très sage et obéissant, l’autre en opposition constante, Didier Pleux dit que nos tâches éducatives ne sont pas les mêmes. Ainsi chez un enfant qui semble adopter naturellement les règles, l’adulte devra sans doute renforcer sa confiance en soi pour qu’il ose faire, dire et s’affirmer dans le lien aux autres.

L’enfant qui s’oppose aux règles et à l’autorité aura besoin de d’expérimenter que l’adulte sera solide face à lui dans l’expression des limites énoncées, que le cadre tient face à ces colères ou d’autres stratégies comme la séduction. Il aura besoin de comprendre que le réel est malgré tous ses efforts pour le modifier à son désir.

Ce qui distingue ces deux tempéraments c’est la nature du lien à l’autre. Ainsi il y a ceux qui font une grande, voire une trop grande place à l’autre, et ceux pour qui l’autre représente un obstacle qui empêche de jouir dans l’immédiat et qu’il faut donc être plus fort que lui ou trouver une autre manière de le contourner.

Dans la conversation avec cette mère, on entend ses craintes pour son enfant trop docile qui se fera marcher dessus plus tard, au contraire de son enfant rebelle qui lui sait déjà défendre ses valeurs, ses opinions, ses désirs, laissant transparaître une forme de contentement chez elle. A ces inquiétudes pour l’un et ses fiertés pour l’autre, Didier Pleux répond que l’empathie permet le développement de beaucoup de qualités et de compétences relationnelles importantes pour construire une belle vie. Pour le mini rebelle en couche-culotte, si l’éducation ne vient pas donner des outils pour maîtriser la toute-puissance infantile, il sera soumis au bon vouloir des autres qui se laisseront ou pas dominer par cette forte tête. Il sera donc plutôt malheureux et frustré que le réel ne veuille pas se plier à son dictat. La croyance que les êtres dominants sont heureux car imposant leurs désirs, à la différence de ceux qui s’accommodent aux autres et au réel, à la vie dure. Ils attirent souvent l’attention des plus anxieux qui rêvent d’avoir ce qu’ils voient comme une audace et de l’affirmation de soi, alors que dans les faits ils sont même particulièrement vulnérables puisqu’ils peuvent s’effondrer à la moindre contrariété.

S’en suit un dialogue avec une enseignante, perdue dit-elle, entre des injonctions professionnelles qui semblent contradictoires, favoriser la motivation, donc son plaisir, de chaque enfant, moteur des apprentissages et les obliger à étudier des matières déplaisantes !

A cette apparente contradiction notre auteur répond qu’à force de laisser un enfant libre d’apprendre que ce qui lui fait plaisir, il aura de plus en plus de peine à faire des efforts devant les matières jugées déplaisantes. Le philosophe Sénèque l’a ainsi dit : Ce n’est pas parce que les choses sont difficiles que nous n’osons pas, c’est parce que nous n’osons pas qu’elles sont difficiles. Le devoir de l’éducateur comme de l’enseignant est d’accompagner l’enfant dans ces apprentissages difficiles pour l’aider à surmonter la difficulté. Les victoires sur l’adversité procurent par ailleurs une joie plus intense que celles obtenues facilement.  Dans cette conversation autour des libertés à accorder pour favoriser l’autonomie et les contraintes à poser pour surmonter les écueils de la vie, il est fait référence aux illustres pédagogues du XX iéme siècle comme Montessori, Freinet et leur inspirateur et mentor Freud. A cette époque un enfant était vu comme un objet au service de l’adulte et de l’Etat. Il devait surtout apprendre à obéir aux dictats des autres. Il n’était pas question, ni de besoins ni de désirs. Il était donc impératif de libérer l’enfant des servitudes et exiger son respect inconditionnel. Dans les années 50, le pédiatre, Terry Brazelton a participé à un documentaire devenu célèbre Le bébé est une personne permettant enfin de reconnaître que le bébé n’était pas qu’un tube digestif, mais habité par des émotions et des sensations, révolutionnant ainsi le lien avec lui. Une expression de ce changement de nature fut l’injonction faite aux mères par les pédiatres de passer d’un allaitement à heure fixe à la demande, préfigurant une forme de renversement de rôle entre enfant et parent !

Dans notre époque libertaire où les contraintes idéologiques, religieux et étatiques ont été remplacées par une responsabilité personnelle et individuelle, il est urgent d’apprendre selon la formule d’Albert Camus « Un homme ça s’empêche ».  C’est un apprentissage long et douloureux qui ne peut se faire que dans le lien à l’autre et au réel.

Le rôle de l’adulte est indispensable pour civiliser les pulsions de l’enfant. Eduquer c’est penser, c’est mettre de la réflexion là où il n’y a que de l’action. S’accommoder au réel est donc un acte de pensée alors que l’émotion est soumise à la pulsion, donc plus difficile à maîtriser. Le travail avec les adolescents jouisseurs de plaisirs immédiats est de prendre conscience que cette forme de plaisir les maintient dans un ici et maintenant, sans futur et toujours à la merci des aléas du réel. Elaborer un projet de vie c’est apprendre à construire pour le futur quelque chose qui dépendra que de nous. Comme l’écrit Didier Pleux « il va découvrir ce qu’est une jouissance décidée par lui-même et non consommée » p.84. Le plaisir immédiat ne construit rien, il n’est que de la pure consommation.

L’équilibrage entre principe de plaisir et principe de réalité est aussi à l’œuvre au sein du couple. Notre auteur nomme les « attentes irrationnelles » dans le couple,  celles qui dictent à l’autre comment il doit être et comment il faut qu’il se conduise envers moi. Ces injonctions absolutistes ne correspondent pas à la réalité de l’autre. Cette manière de voir rejoint les propos d’Yvon Dallaire que nous avons eu la chance d’interviewer pour la Gazette sur le bonheur (numéro 25 décembre 2014). Il nous parle des jeux de pouvoir dans la relation et comment les couples malheureux sont ceux qui ne parviennent pas à les dépasser, trop focalisés qu’ils sont sur avoir raison des problèmes insolubles : « ils se disputent indéfiniment pour savoir qui a raison et qui a tort ». Ce besoin d’avoir raison peut être vu comme un plaisir qui fait perdre de vue la réalité de chacun. Pour sortir de ce piège où tombe beaucoup de couple il est impératif de renoncer à l’idéalisation de l’autre pour accepter le réel du couple. Il n’est pas question de résignation ni de soumission, mais de dialogue. « Accepter la réalité, c’est observer, voir et tenter de la modifier par la parole partagée » p.178.

Dans une dernière conversation avec un patient fraîchement retraité, Didier Pleux aborde le dernier chapitre de notre vie, notre finitude. La mort est le principe de réalité qui nous soumet tous et toutes. L’accepter comme un fait inéluctable, c’est permettre de voir le côté précieux de la vie.  C’est  « l’ultime acceptation » p.195, pour cueillir les joies de la vie qui sont encore là, dans l’ici et maintenant.

Finalement accepter notre réalité, celle des autres et celle du monde dans lequel on vit est le défi de toute vie. A nous de le relever !

 

 

Monika DUCRET

Conseillère conjugale et Thérapeute de FamilleDIDIER PLEUX