« Un soir j’ai passé la frontière française en inventant une excuse, j’avais l’impression d’être Rambo ». Marianne*, 23 ans, est séparée de sa conjointe Noémie depuis bientôt trois semaines. Une distance douloureuse pour le jeune couple, sans cesse à la recherche de moyens pour se retrouver. « On sait que c’est interdit et qu’on peut être amendées, mais on prend le risque. Les circonstances actuelles nous poussent à être inventives », complète la jeune femme.
Le nombre de couples obligés de garder leurs distances a largement augmenté avec l’arrivée du coronavirus et les restrictions cantonales : couples franco-suisses, extra-cantonaux mais aussi personnel médical, ou recrues militaires… Ce phénomène touche plus particulièrement les jeunes adultes, qui ne partagent parfois pas d’espace de vie commun.
Pour Véronique Häring, psychologue au sein de l’association Couple et Famille, ce nouvel état des choses doit être vu comme un second souffle pour toutes ces relations. « La séparation génère évidemment un manque de tendresse, de contact charnel mais elle stimule en même temps une recherche de solutions pour rester en contact ».
Salomé, 26 ans, habite à Meyrin et forme un couple avec Rayan, qui lui réside à Renens. Ils ont pris la décision de ne plus se voir afin d’éviter d’utiliser les transports en commun et d’ainsi prendre des risques. « Comme les parents de Rayan sont âgés, on préfère être prudents, même si ça signifie ne plus se voir pendant plusieurs semaines, voire plusieurs mois ».
Renforcer le couple ?
La distance, souvent vécue comme une parenthèse par les couples, permet d’ouvrir les yeux sur l’attachement vécu, affirme Anne-Sylvie Repond, consultante de couple et sexologue à Profa. « Cet éloignement aide aussi à prendre conscience du rôle que l’autre joue dans son équilibre personnel ». Marianne abonde en ce sens. « On réalise à quel point on est proches, mais aussi qu’on est prêtes à faire des efforts pour entretenir la relation. On s’appelle plus, et on cherche à faire des activités ensemble, même si elles sont virtuelles ».
Pour la consultante de couple à Profa, la période actuelle amène des élans de solidarité et renforce la relation de couple par le sentiment de faire face ensemble. « Si le climat anxiogène peut être un révélateur des peurs, des manques, des frustrations personnelles dans la relation, il peut aussi mettre en lumière les ressources du couple et favoriser des dialogues plus profonds, même à distance avec le conjoint ».
(Re)désirer l’autre
Sur le plan érotique, la situation peut également se révéler positive. La vie sexuelle du couple peut toujours se vivre à travers le sexting (les messages ou photos sexuellement explicites) ou les messages vocaux.
« Le désir peut se nourrir de l’absence, par des échanges où l’érotisme se dit à travers des mots, des images, des rêveries anticipatoires », explique Monika Ducret, conseillère conjugale au sein de l’association Couple et Famille. C’est le cas de Lisa, en couple avec Alexandre, séparée par la frontière avec la France. « Pour l’instant cette situation ne change pas grand-chose. On se réjouit par contre déjà de se retrouver pour se toucher et se sentir… Le manque physique est ce qui est le plus compliqué à gérer, même si on essaie de le pallier à distance ».
La communication, clé de la réussite
Pour supporter au mieux le contexte actuel, les attentes doivent être verbalisées et entendues soit par écrit, par audio ou même par vidéo. Pour Lisa, un rendez-vous téléphonique a lieu tous les soirs. Salomé, elle, privilégie les partages de vidéos ou de photos via WhatsApp. Dans cette situation en particulier, une des vertus principales pour le couple et pour soi-même reste la bienveillance. Imaginons un couple dont l’un des deux partenaires fait partie des métiers surexposés tels les soignants, le personnel des magasins, les nettoyeurs, etc. Les échanges au sein du couple devraient pouvoir être en priorité un espace d’accueil, d’écoute et de soutien du vécu difficile », affirme la sexologue de Profa.
Même son de cloche pour Véronique Häring, conseillère conjugale à l’association Couple et Famile : « Un couple a besoin de rituels pour se démarquer, pour affirmer son identité, sa spécificité ». Il s’en crée donc en dépit des contraintes du confinement. Le couple est ainsi « forcé » à développer sa créativité en fonction de ses besoins et de ses ressentis ».
Les réseaux sociaux à l’aide des couples séparés
Antoine, 21 ans, est militaire à la caserne de Sion. En couple avec Laura depuis plus de deux ans, il ne peut plus rentrer chez lui depuis près de trois semaines. Un moment compliqué pour le jeune homme. « Même si les réseaux sociaux nous permettent d’entretenir la relation tous les jours, en s’écrivant sur WhatsApp, en s’appelant avec la vidéo ou en s’envoyant des images sur Instagram, moi je n’arrive pas à pallier la distance. Je sais que je suis en train de parler avec ma copine mais je sais aussi et surtout qu’on est séparés par des dizaines de kilomètres ». Les réseaux sociaux aident à maintenir le lien, mais uniquement sur le court ou moyen terme et ce, malgré la multiplication des supports et des nouvelles technologies.
Cette période est donc l’occasion de créer des nouvelles petites attentions: écrire une lettre, envoyer des petits cadeaux, participer ensemble à des visites virtuelles de musées, regarder les mêmes émissions en même temps pour partager des activités communes: «Continuer à nourrir son couple, de façons diverses et inventives, reste essentiel pour chérir le lien et éviter la routine, qui pourrait aussi au fil des semaines d’éloignement poser son ombre sur le couple», souligne Anne-Sylvie Repond. Pour Salomé et Rayan par exemple, les prochaines soirées vont se passer sur une application de visioconférence, en regardant un film ou une série. Antoine, lui, écrit des lettres à sa moitié « pour lui raconter mes journées et lui changer les idées ».
Faire le point
Enfin, être séparé physiquement de son conjoint est aussi l’occasion de se retrouver seul, et de faire le point sur sa vie et sa situation actuelle. « Il faut avant tout rester positif, ne pas se morfondre, mais plutôt prendre du temps pour soi, pour explorer ce que l’on n’aurait pas eu l’occasion ou l’idée d’explorer en tant que couple, explique Charlotte Debionne, conseillère conjugale à Couple et Famille. De manière plus générale, il est important de savoir vivre le moment présent : quand on est deux, on le savoure ; quand on est seul, on le savoure. La meilleure façon de se rendre malheureux est de vouloir autre chose que ce qui est ».
interview avec la journaliste Julie Marti et Véronique Haring, Monika Ducret et Charlotte Debionne.
* Prénom d’emprunt